À propos de la boutique Marte Kaduk.

Le choix d'ouvrir une boutique en ligne est loin d'être anodin. Pourquoi? dans quel but? Est-ce que seulement ça va marcher? Pourquoi je vous parle de ça?

Mon rêve, comme celui de toute personne passionnée, serait de pouvoir vivre de mon travail. Ce travail, cette recherche graphique, cette recherche de sens, je ne pourrai pas l'envisager si j'étais lié à un statut de salarié dans une entreprise. Si je ne faisais que suivre les ordres de mon patron, je ne pourrai plus suivre ceux de mon cœur. Comment alors ne manquer de rien et simplement vivre puisqu’il faut bien « gagner sa vie »?

C’est une impasse lorsqu’on vit avec 500€ par mois et qu’il faut payer un loyer et des factures bien entendu. Pour ma part, vivre sur un territoire fait d’entraide et de troc, de camaraderie et de soutien mutuel, est tout ce qui me tient et tout ce qui me permet de l’envisager. Et force est de constater que ce type d’enclave est trop rare tandis que leur équilibre est trop fragile.

Séparé-e-s du travail, de sa compréhension et de son désir, nous ne pouvons qu’effectuer dans le cadre d’emplois de plus en plus précaires, des tâches monotones et fastidieuses qui nous font perdre le sentiment chaque jour un peu plus de ne plus nous posséder nous-mêmes, de ne plus être capables de gérer notre propre vie. D’étouffer.

À passer trop de compromis avec notre liberté celle-ci nous quitte, emportant avec elle le sentiment que le changement est possible.

Dans un monde où il n’y a plus de métier mais des emplois sous-payés monotones et fastidieux ou des CEO sans vergogne prêt-e-s à tout pour disrupter un monde fait de benchmarking, être d’un bout à l’autre du processus de son travail paraît utopique. Pourtant au XIXème siècle déjà, en pleine révolution industrielle, le mouvement Arts & Crafts au Royaume-Uni s’inquiétait déjà de cette séparation établie entre le, la producteur-ice et le fruit de son travail et dans un climat d’émergence d’un socialisme libertaire attaché à combattre les inégalités produites par un capitalisme sauvage, il imaginait un monde où l’artisan-e-artiste était figure tutélaire.

Je pense qu’ici se tient le véritable progrès du travail pris dans les tourments d’un capitalisme dont l’avidité destructrice n’a jamais décéléré. Je ne sais pas si ce que je fais plaira assez pour que je dépasse le seuil de pauvreté. Car ceci est ma visée objective. Pouvoir me dégager un équivalent de SMIC est un objectif louable à atteindre et me permettrait de financer d'autres activités dans lesquelles j'aime à me lancer : soutenir des collectifs, des associations en leur proposant mes services gratuitement et y donner de mon temps parce que je ne suis plus à la recherche intempestive du moindre sou.

J'aimerais donner de l'importance à ce qui n'est pas monétisable, qui n'a pas de valeur pour l'économie mais qui en a énormément pour ce qui fait que la vie vaut la peine d'être vécue, pour le changement, pour la fusion réactualisée de l'art et de l'artisanat, de la politique et de la vie. Je ne veux pas reproduire à l'envi les articles de la boutique. Chaque T-shirt, pull ou autre fait partie d'une série bien particulière qui est limitée. Cette boutique et ce qui y est proposé à la vente est le reflet de mon cheminement personnel, esthétique et politique.

Il est difficile de penser autrement un bout de tissu qu'on enfile, que comme un produit consommable à durée de vie limitée. Ici la fast-fashion a bien fait son travail. Mais on peut le rapiécer, en prendre soin et lorsqu’on décide de ne plus le porter, de découper le dessin pour s'en faire un patch sur un autre vêtement ou même pour l'encadrer et pourquoi pas l'offrir à une personne qu'on aime. J'espère que ma production sera perçue et envisagée sous cet angle de la récupération et du soucis de préserver au maximum ce que l'on détient. Les ressources sont si précieuses, le moteur de l'imagination si puissant et si précaire à la fois.